Beaucoup auront deviné qui était Juliette, la caissière de Pierre DESVAGES, qui fut donc la première femme a effectué Paris-Brest-Paris, même si ce ne fut pas officiel, même si ce fut à tandem. Elle s’appelait Juliette GANIER, était née en 1893 à Paris où elle demeurait. Elle se fera connaître ensuite sous le nom de Juliette PITARD et s’inscrira au tableau d’honneur des trois premiers Paris-Brest-Paris randonneur (1931, 1948, 1951). Reprenons donc l’histoire en partant de l’atelier de Pierre DESVAGES où Juliette tenait la caisse.
Au nombre des ouvriers on comptera, après la guerre, Louis PITARD, né en 1895 à Paris. Il était membre de l’ACP et dans les années 20 il roulait abondamment, par goût du sport, de la mécanique et peut-être aussi pour oublier la Grande Guerre à laquelle il avait participé avec beaucoup de courage. Blessé après la seconde bataille d’Artois en 1915, il combattit jusqu’à sa capture par les Allemands, puis son évasion en 1918. Démobilisé fin 1919, il fut décoré de la Croix de Guerre.
Parmi les membres du bureau de l’ACP, dont Louis PITARD était un membre très actif, figurait celui qui allait créer en 1923, et présider, la première Fédération Française des Sociétés de Cyclotourisme, l’ancêtre de la FFCT, Gaston CLÉMENT. Sa fille unique, Yvonne CLÉMENT, elle-même cyclotouriste, fut séduite par cet homme « intelligent, calme et résolu », selon les mots qui figurent sur son livret militaire. Louis PITARD et Yvonne CLÉMENT se marièrent à Vanves en 1923. Hélas, un an plus tard un stupide accident, à leur domicile de l’avenue de Versailles, devait coûter la vie à Yvonne qui décédait à 22 ans, laissant Louis PITARD veuf et Gaston CLÉMENT anéanti pour le reste de sa vie.
Les années qui suivirent furent difficiles pour Louis PITARD. Son travail de cadreur dans l’atelier de cycles de Pierre DESVAGES et les randonnées à vélo avec ses camarades de l’ACP l’aidèrent à surmonter son chagrin. Pour preuve, voici un peu plus loin, son récit d’un brevet randonneur de 200 qu’il fit le 25 septembre 1927 avec son ami Louis OLLIER (et non ALLEX comme écrit dans La Pédale), lui aussi de l’ACP.
Les photos de Louis PITARD sont rares mais la BNF en possède une, prise à la Poly de Chanteloup en 1925 avec Juliette, où ils finirent premier des tandems mixtes dans la pluie et la boue avec l’obligation comme tous les concurrents de transporter cinq kilos de bagages. Le tandem est un tandem DESVAGES reconnaissable à ses innovations. On notera le lourd paquet de journaux sur le porte-bagage arrière, ainsi que le retour au parallélisme des manivelles.
C’est dans ce contexte que Louis PITARD et Juliette GANIER, la caissière-randonneuse-tandémiste de Pierre DESVAGES décidèrent d’unir leurs destinées le 18 août 1928 à la mairie de Mamers. Voilà donc comment Juliette devint Madame PITARD. Ils constituèrent pendant plus de 50 ans un couple uni de sportifs, mais cette fois en chevauchant un tandem PITARD, que Louis avait construit dans la boutique qu’il avait ouverte dans le 15e arrondissement, puis ensuite rue St Martin.
Toujours fidèles à l’ACP, ils furent parmi les rares cyclos à revenir en 1948, après avoir été déjà présents au Paris-Brest de 1931. Et pour faire bonne mesure, ils ajoutèrent un troisième PBP en 1951, devenant ainsi les premiers à l’homologuer trois fois. En fin d’article se trouve l’extrait d’une lettre de Louis PITARD, que possédait Robert LEPERTEL, dans laquelle il évoque leurs trois Paris-Brest.
A la retraite, ils se retirèrent à Mollans-sur-Ouvèze, sur le versant nord du Ventoux. Juliette y est décédée en 1979 et Louis en 1986. L’inscription effacée sur la plaque du cimetière est : « À Louis et Juliette PITARD, Constructeurs et Pratiquants, la Fédération Française de Cyclotourisme reconnaissante ». Quant à Pierre DESVAGES, le père fondateur des Tandémistes Parisiens, qui fut à l’origine de tout cela, il est décédé à Limeil-Brévannes en 1933, à l’âge de 65 ans.
Alain COLLONGUES