LA SUPER RANDONNÉE DE HAUTE-PROVENCE

                                                            (26-28 juillet 2016)

            Je vais narrer une incomparable et inoubliable randonnée, en faisant ressortir mes erreurs, ou au contraire de « bonnes pratiques », ou encore en mettant en exergue quelques dangers, dans le but d’édifier, sur quelques points, plus ou moins importants, les éventuels candidats.

            Il faut d’abord souligner que le SRHP est une authentique galère ! Pourtant, sa conceptrice, Sophie MATTER, présentait son œuvre de façon plus alléchante, en 2009. Elle écrivait : « l’organisatrice, qui a refait l’épreuve cette année (après une première expérience en 2008), peut vous le confirmer : une super randonnée est une merveilleuse ballade touristique, mais c’est aussi une authentique aventure ». Première homologuée en mai 2009, Sophie avait couvert les 611,5 km et les 10800 m de D+ en… 37H34 ! Le 4ᵉ homologué, le célèbre cyclo grenoblois Jean-Philippe BATTU, grand organisateur de BRM montagnard pour le compte de l’Amicale des Diagonalistes de France (dont il tient le site internet), avait réalisé 49H48 début septembre 2009. Le délai était alors de 50H, contre 51H aujourd’hui, en formule « randonneur » ( la formule « touristique » n’impose qu’un minimum de 80 km par jour).

            Début juillet 2012, avec Pierre, on s’était lancé sur cette SRHP, en démarrant à 18H (Jean-Claude CHABIRAND était parti six heures après nous-cf. Son récit sur le site ACP- organisations-Super-randonnées). 24H plus tard, on était à Malaucène au km 400, après avoir franchi les deux crêtes du Verdon, deux cols des préalpes de Digne, la Montagne de Lure et trois autres cols. On avait dîné, puis dormi à l’hôtel, avant de repartir à 3H du matin, après 9H d’arrêt, de gravir le Ventoux, puis le col des Abeilles, puis une vingtaine de bosses avant de retrouver le point de départ, le village de Carcès, dans le centre-Var, le tout en 46H45.

            Nous avions pu ainsi faire partie des douze cyclos de la première promotion des « randonneurs 10000 », nouvellement créés par l’ACP ; pour cela, il fallait compléter le cursus du « randonneur 5000 » (une flèche Vélocio, au moins un BRM de chaque catégorie : 200, 300, 400, 600, et 1000, un PBP et le « complément kilométrique », en BRM ou « flèches » catégorie argent ou or) par une seconde série de 200, 300, 400, 600 et 1000, d’une part, par un 1200 autre que PBP et le « complément kilométrique » d’autre part, ainsi que par une « super randonnée » version « randonneur ».  Comme l’a souligné Jean-Gualbert FABUREL lors de la traditionnelle réception de l’ACP en janvier 2016, cette dernière épreuve est sans doute la plus difficile de toutes celles du « R10000 ». Le taux d’échec est assez élevé : ainsi, sur la SRHP (la première créée : depuis 2009, plusieurs autres ont été lancées, dans le Dauphiné, dans les Pyrénées, en Bourgogne, dans le Pays basque, avec toujours le même « cahier des charges » : au moins 600 km et 10000 m de D+ ; voir le site internet de l’ACP), j’ai été le 138ᵉ inscrit cette année, mais seulement le 90ᵉ homologué, et ce en incluant les « formules touristiques ».

            Pourquoi ce choix de retenter seul, cette année, cette super-randonnée ? L’idée m’est apparue  début juin : me trouvant trois semaines en vacances dans le Var comme chaque année en juillet, avec une voiture disponible pour aller à Carcès, à 70 km, et y stationner, le « créneau logistique » était idéal. En outre, je disposais d’une douzaine de jours d’entraînement aux spécificités de l’exercice : chaleur et montées. Le problème, justement, était un premier semestre cycliste « poussif », notamment pour des raisons professionnelles, tant sur le plan quantitatif (environ -25 % de km par rapport à la moyenne des 4 années précédentes) que qualitatif (un bon tiers de ces km ont été réalisés sur home-trainer, ou à Longchamp). Certes, une demi-douzaine de courses GS (4eme catégorie) UFOLEP, ainsi qu’une « cyclosportive » ont assuré une forme minimale, la flèche Vélocio de mars et l’expédition avec Jean mi-juin (500 km en deux jours en Bourgogne) ont maintenu un niveau d’endurance correct, et la « sortie de club » Sceaux-Pierrefort de mai 681 km en 4 jours) a permis de franchir de sympathiques cols cantalous. Mais nos pique-niques cyclos et dîners conviviaux et bien arrosés n’ont guère contribué à m’ « affûter » et, début juillet, j’ai 4 kg de plus qu’en 2012 sur la balance ! Aussi, je compte justement sur cette préparation, même courte, et sur la SRHP, pour perdre du poids et retrouver un meilleur rendement en vue de la fin de saison, à commencer par les « 24H du Mans  en solo » fin août. Enfin, le choix de la SRHP a aussi été motivé par la perspective d’une forte probabilité de temps sec, en juillet en Provence, ainsi que, par une bonne connaissance du parcours, évitant les fastidieuses recherches cartographiques (je n’ai pas de GPS).

            La préparation se déroule correctement, même si je roule un peu moins que prévu, pour des impératifs familiaux. Je vais quand même grimper le col de Turini et effectuer, au-dessus, le circuit de l’Authion où on approche les 2000 m, une semaine avant. Je fais en tout plus de 600 km en douze jours, avec de nombreux petits cols varois et des tests chronométrés (médiocres). La veille du « jour J » (26 juillet), la météo se présente bien : « quelques gouttes » sont prévues par un « météorologiste » de la TV, sur le Mercantour, donc loin de l’extrémité Est de la SRHP, avec un mistral pas trop fort (60 km/h). Je confirme donc à Sophie mon départ à 14H, heure choisie notamment pour effectuer la descente de la « route des Crêtes » alors qu’il devrait faire encore jour (cf. Avertissement de l’organisatrice : « nous déconseillons fortement aux randonneurs d’emprunter la Route des Crêtes de nuit (Gorges du Verdon), car la descente vers le refuge de la Maline, sans visibilité, est très dangereuse »). Cet horaire présente aussi l’avantage de bien dormir la nuit précédente, et de ne faire « que » deux nuits sur la randonnée. Il doit aussi permettre d’éviter le pic de chaleur pour les deux grandes montées, Lure (le matin) et le Ventoux (en soirée), ainsi que pour celles qui suivent au niveau de la difficulté (route des crêtes, en soirée, Fontbelle, les Abeilles et l’Espinouse, de nuit). La longue et délicate descente de Lure est faite en journée. L’inconvénient principal est de démarrer en pleine chaleur.

            En ce début d’été, notre CTV Sceaux est sur tous les fronts des épreuves de grande distance, même si c’est en ordre dispersé et individuel : Pierre a réussi la diagonale Menton-Brest début juillet, Denis a bouclé le PBP audax, GG est en train d’enchaîner les plus longues flèches de France, David va prendre le départ de Bruxelles-Strasbourg-Bruxelles (BRM de 1200 km)… Pas mal, après les participations massives du club au printemps (13 cyclos, en 3 équipes sur la flèche vélocio, 24 cyclos sur Sceaux-Pierrefort…) !

            Le 26 juillet, qui devait marquer la fin de l’état d’urgence, les radios ne parlent que du dernier attentat, le matin même à Saint-Étienne du Rouvray. J’arrive peu avant 13H à Carcès où je me gare sur un grand parking (place Respelido), mange une grosse platée de riz au thon et tomates, prépare sacs et vélo, puis roule vers la rue commerçante. J’avise un bar ouvert, le « Pitchoun », et ce sera un bon choix : le magnifique « Pinarello » accroché dehors appartient au patron. Il grimpe des cols, et a fait « la Bonnette », face nord ! On en cause. Il tamponne ma carte. Je lui explique le principe de ce genre de randonnée. Il connaît Sophie, pour avoir roulé un peu avec elle ! 14H approche : il vient voir mon vélo, garé dehors avec un anti-vol, que j’emporte systématiquement. On évalue à 6-7 kg le total de mon chargement, sac et sacoche compris : dans cette dernière, dans le prolongement de la selle, j’ai rangé l’antivol, un pneu de rechange, 4 chambres à air, une seconde pompe, une clé multifonction, un couteau suisse, un dérive-chaîne (dont je ne sais pas me servir), des patins de frein et une cale de rechange, 7 sachets d’Isoxan, trois bananes, des vitamines, deux gros tubes de lait concentré, trois cartes routières, une chasuble, des papiers journaux et, après hésitations, un imperméable. Dans le sac à dos, j’ai, dans un premier sac plastique, des « affaires d’hiver » (jambières, bonnet, gants) et un coupe-vent, dans un second, tout un ravitaillement (pain complet, rillettes de thon, biscuits, etc), et dans un troisième les deux appareils photos-un numérique et un « jetable »- nécessaires pour les contrôles. Le reste se trouve dans les poches arrière (portefeuille, parcours, édition du mail de Sophie renseignant sur les points d’eau et les commerces, téléphone, crème solaire, baume à lèvres, barres de céréales…).

            Vers 14H05, je franchis le panneau de sortie de Carcès et entame les premiers « faux-plats » évidemment montant qui mènent à Cotignac : en 7 km, déjà 95 m de D+ ! La première côte significative se présente en sortant du village : on doit bien prendre 120 m en moins de 2 km ! Je ressens la forte chaleur du Centre-Var en juillet : 32-33° à l’ombre, mais pas d’ombre dans cette bosse ! Et ça continue de monter irrégulièrement après Sillans-la-Cascade, où j’apprécie une mini descente et un brin de fraîcheur. La progression dans la pinède est pénible. Enfin, ça redescend sur Aups, gros bourg du Haut-Var : km 22 et déjà altitude 493 ! Aups compte un peu plus de 2000 habitants. Il y eu là une petite bataille entre les résistants républicains, nombreux dans le Haut-Var et dans les Basses-Alpes, et un régiment participant au coup d’État du 2 décembre 1851. Je fais un premier « arrêt-fontaine », pour boire de l’eau fraîche, remplacer l’eau réchauffée de mes bidons et mettre dans le plus grand le contenu d’un sachet d’Isoxan. Je repars assez vite pour grimper un premier petit raidar dans le contournement du centre-ville, avec pour la première fois le plus petit de mes trois plateaux, avant d’attaquer le premier col, de la Bigue : 280 m de D+ en 6 km. La chaleur me freine, et par ailleurs, je suis surpris par l’intensité de la circulation en ce milieu d’après-midi. Passé le col, c’est enfin une vraie longue et belle descente, sur une large route roulante, permettant d’admirer une magnifique vue, allant du Ventoux à l’ouest jusqu’aux montagnes surplombant le Verdon, au N.E. C’est par là que je vais, prenant la petite départementale menant à Aiguines. Il y a déjà beaucoup moins de voitures. La route reprend progressivement près de 200 m de dénivelé avant d’en reperdre 80 en descendant sur Aiguines, surplombant l’immense lac de retenue de Sainte-Croix, alimenté notamment par le Verdon. À Aiguines, commence la route panoramique des Gorges du Verdon, rive gauche. L’altitude passe de 789m à 1202m au col de Vaumale. Avant le col, la « source de Vaumale » est à 1180 m, au km 47,5.

            J’y suis exactement à l’heure que j’avais prévue sur mon tableau de marche : 17H30… soit quand même 1H de plus qu’en 2012 (avec Pierre, on s’était relayé dans les faux-plats montants, il n’y avait pas de vent de face, on ne s’était pas arrêté à Aups, et, en partant à 18H, on avait un meilleur rendement, le pic de chaleur étant passé… et surtout, comme je l’ai déjà dit, j’ai 4 ans et 4 kg de plus!). Je prends le vélo en photo sous le panneau indiquant la source : c’est le premier contrôle. Je bois beaucoup, me rince abondamment le visage pour évacuer le sel, et fais le plein des bidons avant de repartir. Le ciel se couvre et, à cette heure, en altitude, je supporte bien le coupe-vent et le journal pour les longues descentes, qui succèdent aux montées. J’ai souvent pris cette route, mais ne me lasse jamais des vues plongeantes sur le vert Verdon, notamment aux tunnels du Fayet. Les nuages s’amoncellent sur les hauteurs, vers le sud-est, mais aussi sur l’autre rive, au nord. Passé le pont sur l’Artuby, j’entends de lointains coups de tonnerre. J’aurais pu m’arrêter sous une terrasse du dernier bâtiment avant de quitter les gorges et de grimper sur la route de Combs, pour franchir la « côte 1004 », mais il ne pleut pas et il me semble que ma route va vers ce coin de ciel bleu qui subsiste vers l’est. Dans la montée, il y a des éclairs, puis du tonnerre de plus en plus rapproché, puis les premières gouttes, chaudes et espacées. J’accélère : je crois pouvoir m’extraire de l’orage qui est désormais dans les gorges. Une voiture ralentit à ma hauteur : la jeune conductrice me demande si « ça va » ? Je lui réponds par l’affirmative : l’ « orage est derrière » : elle confirme qu’elle vient de se prendre une belle averse, puis elle disparaît à l’horizon ! Celui-ci se révèle vite, au franchissement de la « côte 1004 » : ça flotte fort « droit devant », dans la forêt où la route descend en pente douce. D’un coup, la pluie est sur moi, accompagnée d’éclairs et de coups de tonnerre immédiats ! Je sais qu’il ne faut pas aller sous les arbres, mais je ne suis pas plus à l’abri du coup de foudre seul sur la route ! C’est un déluge. À la pluie succèdent de gros grêlons ! La maigre végétation de la forêt de chênes laisse passer l’eau, mais les grêlons sont quand même un peu amortis quand ils s’entrechoquent sur mon casque ! Le tonnerre doit résonner dans les gorges, car le bruit est dantesque ! Comme ça dure, je veux « optimiser » l’arrêt en mangeant un peu. J’ai envie de chips, salés et calorifiques ! Je les cherche dans le sac plastique de ravitaillement, et, ne les trouvant pas, je me décide de mieux fouiller : l’eau dégouline alors du casque, notamment, s’engouffrant dans le sac à dos et même dans le sac plastique de ravitaillement ! Pas de traces de chips : je les ai oubliés ! J’ingurgite tristement une barre de céréales, puis finis par repartir : l’orage s’est éloigné et la pluie est moins intense. J’ai évidemment mis le gore-tex, mais ça s’est tellement rafraîchi, après la canicule de l’après-midi, que j’ai du mal à maintenir le guidon, pris par la « tremblotte » ! Je quitte vite la route de Comps pour entamer la forte descente sur Trigance, beau village surmonté d’un château. La route n’est plus qu’un torrent, même s’il s’est arrêté de pleuvoir, et j’use évidemment pas mal mes patins ! Heureusement, l’eau de la route est chaude et semble propre ! Arrivé dans la vallée, je fais le plein d’eau à la fontaine du village de Soleils (!) et inventorie les « dégâts » de l’orage : au moins 3/4 d’heure perdus, les journaux pour les descentes trempés et inutilisables, les trois cartes routières pas assez protégées (comme dit Pierre, il faut systématiquement un double plastiquage) un peu mouillées, et, évidemment, moi-même humide à souhait : ce n’est pas cette nuit, malgré le vent, que mes pieds vont sécher !

            À Pont de Soleils, je franchis le Verdon et tourne à gauche, vers l’ouest, quittant le département du Var, au km 85, pour entrer dans les Alpes de Haute-Provence et attaquer la rive droite du Verdon. L’altitude est plus basse : 652 m : il fait plus chaud et le ciel est redevenu bleu. La route remonte progressivement, en deux montées douces, deux descentes, et une montée finale plus abrupte, vers le sommet de la route des Crêtes, à 1320 m. Après la pluie, la luminosité est exceptionnelle et les vues sur les montagnes sauvages où stagnent les nuages valent à elles seules ce voyage ! En milieu de la seconde montée, il se remet à pleuvoir, mais je ne remets pas l’imper, préférant être trempé de pluie plutôt que de sueur ! Heureusement, le ciel bleu gagne du terrain, et avec lui les étoiles qui commencent à apparaître. Le jour s’en va déjà comme je prends les photos du second contrôle, sous le panneau touristique de la route des crêtes, à côté d’un camping-car qui va y passer la nuit ! Et, comme en 2012 hélas, je me lance de nuit dans la descente vertigineuse au-dessus des gorges. Heureusement, depuis l’an dernier, j’ai une lumière à batterie très performante. Je vois bien les éboulis et les immenses mares sur la route, qui est en sens unique désormais, pendant toute la descente (ce n’était pas le cas en 1977 quand j’avais pris cette route panoramique pour la première fois, dans l’autre sens). La route remonte ensuite sur La Palud-sur-Verdon. Je regarde, nostalgique, l’auberge de jeunesse découverte il y a quarante ans, constituant la première étape d’une remontée cycliste Menton-Paris, via 7 de ces auberges ! J’avais alors 18 ans et pouvais emmener 52-43/15-23 malgré les sacoches ! Au lavoir du village (très animé : il y a du flamenco!), nouveau plein d’eau, et repas : je me fais deux sandwiches aux rillettes de thon, vide l’eau qui était au fond du sac plastique contenant les vivres (cf. Supra!), puis repars continuer la grimpette vers le col d’Ayen, en pente douce (100 m de D+). C’est ensuite une longue descente vers le lac de Sainte-Croix.

            J’évite bien Moustiers-Sainte-Marie (il y a 4 ans, on avait traversé le village) et attaque la bosse menant au plateau de Valensole. Je regrette un peu de n’avoir pas ôté le coupe-vent : la nuit est douce, et il fait chaud, avec la chasuble en 3ᵉ couche, mais comme de nouvelles descentes arrivent, je ne m’arrête pas. Après quelques kilomètres de descente sinueuse, je franchis l’Asse, affluent de la Durance, et fais une longue pause au robinet du cimetière de Bras-d’Asse, avant d’attaquer le col d’Espinouse (alt.838 m) : 350 m de D+ en 10 km : ça reste raisonnable, même si c’est toujours dur, de nuit. La nuit n’est pas très claire, avec seulement une demi-lune, mais le Mistral a définitivement chassé les nuages : les étoiles sont à foison dans le ciel. Comme pour la plupart des cols qui suivront, désormais, il y a un panneau kilométrique annonçant l’altitude, la distance du sommet, et le % moyen du km à venir, ce qui occupe bien l’esprit ! Troisième contrôle au col d’Espinouse, et donc photos. J’ingurgite régulièrement des biscuits et du lait concentré. La route est étroite et la descente sur la vallée de la Bléone est périlleuse, avec des virages marqués. Il vaut mieux éviter de contempler au loin les lumières de Digne ! Une fois la rivière au vaste lit traversée sur un pont neuf, il faut prendre la RN 85 (« Route Napoléon » sur 2 km : le gros avantage de la nuit est l’absence du « trafic » annoncé sur la feuille de route ! Nouveau plein d’eau aux toilettes de Grillons. Je remplis aussi une bouteille d’un litre en réserve dans le sac à dos, car il n’y en n’a plus jusqu’après le col de Fontbelle. Celui-ci n’est pas facile : plus de 800 m de D+ pour franchir ses 1304 m. Il est dans 27 km, mais la première partie est en léger faux-plat montant, dans une vallée peu peuplée.

            C’est là que je verrai un sanglier traverser et fuir dans un bruit impressionnant. La nuit est propice à toutes sortes de rencontres animales : chats en vadrouille dans les villages, renard, écureuil, blaireau, lièvres, pour me limiter à mes visions de ces deux nuits. Il y a quatre ans, Pierre avait pu photographier des bouquetins au sommet du Ventoux. Cette année, je ne les ai pas vus, mais ai souvent entendu des bruits dans la nuit et des pierres qui roulent… c’est un des dangers de la randonnée nocturne, avec aussi et surtout le risque d’être renversé par un sanglier traversant la route, comme ça avait failli nous arriver, avec Jean, dans le BRM de 1000 km de Troyes en 2010, en Sologne. J’ai aussi cru voir un ours en train de dormir sur la route du col des Abeilles à la fin de la 2ᵉ nuit, mais je devais probablement être un tantinet émoussé pour avoir ces hallucinations !

            En attendant, le jour se lève comme je termine de grimper le col de Fontbelle. Il est presque 6H quand je prends les photos du vélo pour ce quatrième contrôle. C’est le km 211 : plus du tiers de la randonnée est effectué, mais j’ai déjà perdu 3H30 par rapport au temps de passage de 2012 (6H30) ! Il fait un peu frais, mais je ne mets pas les jambières. Comme je m’arrête un quart d’heure pour somnoler au soleil levant, à mi-descente (entrecoupée d’une bonne remontée de 100 m de D+), l’hémorragie n’est pas près de s’arrêter ! La descente sur la Durance et Sisteron est longue, mais très « panoramique ». A trois reprises, je croise de gros camions de transport de bois qui montent vite, à vide, et ne laissent que peu d’espace pour passer !

             À la sortie de Sisteron, petit arrêt à une boulangerie où je savoure un flan. Puis je gagne Saint-Étienne-les-Orgues : 200 m de D+ en 30 km : il y a quatre ans, je ne m’étais pas aperçu de cette configuration : on roulait tellement fort avec Pierre qu’on avait loupé la petite route rejoignant directement la D951 (détour de 500M!) ! Je m’arrête à une source pour me nettoyer le visage: il fait déjà chaud, et je mets ensuite la crème solaire. A Saint-Étienne, je trouve une supérette peu avant le début de la montée sur Lure. Je n’ai grimpé que trois fois cette montagne magnifique, pour la première fois en 1986 (préparant, fin mai, PBP audax). À la supérette, j’achète notamment du pain et du gruyère, ainsi que de l’eau à bulles, et fais tamponner la carte de route : donc, pas besoin de photos pour ce cinquième contrôle ! J’entame ensuite les 1040 m de D+ en 18 km menant au sommet de la montagne de Lure (1747 m); le contrôle est 3 km plus loin, en contrebas, au Pas de la Graille. Là, je cause avec des touristes de Pellussin (42), qui me prennent en photo avec le vélo, pour le sixième contrôle : il est 13H : j’aurai donc mis 3H pour 21 km, ce qui est plutôt médiocre, même si je me suis arrêté un bon moment au bistrot (refuge) de l’ancienne station de ski (fermée en 2011), pour boire un café et manger des gâteaux ! Le patron me dit qu’il est envisagé d’y faire une arrivée du Tour, à l’instar de Paris-Nice, dont deux étapes y ont fini, en 2009 et 2013. Il m’est souvent venu à l’esprit, pendant cette grimpée interminable, d’abandonner et de faire demi-tour : je pourrais ainsi rejoindre Carcès avant la nuit et éviter une seconde nuit sur le vélo, ou quasiment, car j’ai désormais 5H de retard par rapport à 2012… Les vues sont grandioses, et il y a bien moins de touristes qu’au Ventoux, dont Lure est le prolongement. Bon, « aléa jacta est » , pas question d’abandonner : je bascule dans la pénible descente, par sa longueur et, parfois, le mauvais état de la route (ce qui reste l’exception tout au long de cette SRHP).

            J’arrive en pleine chaleur à l’altitude 500, dans la vallée du Jabron, affluent de la rive droite de la Durance. Ce Jabron coule sur 36 km et prend sa source vers le col de la Pigière, qui est à 968 m d’altitude. Je remonte la vallée sur 26 km, en faux plat, puis sur des pourcentages raisonnables, pour passer ce col! Après 3 km de descente, 4 km un peu plus difficiles mènent au col de Macuègne (1068 m), où je prends les photos du septième contrôle. Après 10 km de descente sur Montbrun-les-Bains, un peu de plat au pied du Ventoux, et une remontée de seulement 132 m de dénivelé, je passe au col des Aires, puis son prolongement, le col de Fontaube. Il est déjà 18H05 à ce huitième contrôle, mais comme on n’est qu’à 635 m d’altitude, la chaleur est encore bien prégnante. À chaque arrêt, je me fais un petit sandwich de pain complet/gruyère, qui « passe » très bien. J’arrive sur l’Ouvèze, donc désormais dans le bassin du Rhône. C’est un des rares endroits où j’ai consulté une de mes trois cartes routières, afin de m’assurer de l’absence d’erreur dans une progression qui me semble interminable, ne voyant plus la face nord du Ventoux, suivie d’est en ouest depuis Montbrun. Il est 19H30 quand je parviens au village d’Entrechaux, après une bonne bosse. Malaucène et le pied du Ventoux sont encore distants de 7 km et je crains la fermeture des magasins à mon arrivée. Voyant une supérette ouverte, je vais acheter des biscuits salés et sucrés et, surtout, deux bouteilles d’eau de Vichy. J’en vide une, buvant et remplissant le bidon dédié à l’ « eau claire » (l’autre contenant l’eau « à l’Isoxan »!) et mets la seconde dans le sac à dos.

            Il est presque 20H à Malaucène. J’ai mis 30H pour presque 400 km, à 16,4 de moyenne roulée, au compteur. En 2012, nous avions mis 24H, et j’avais 19,6 au compteur. Nous avions alors pu nous arrêter 9H (cf. Supra), avant d’ « attaquer » le Ventoux à 3H. Aujourd’hui, évidemment, pas question d’arrêt : en repartant immédiatement, les 6H de retard se transforment en 3H d’avance par rapport à 2012, mais cette avance va très vite fondre comme neige au soleil ! Il y a un monde fou aux terrasses des bistrots et restaurants de Malaucène. J’avance dans l’artère principale sans trouver de commerce où je pourrais faire le pointage du neuvième contrôle sans trop gêner le service. Je dépasse le carrefour de la route du Ventoux et arrive à une grande fontaine, où je me « débarbouille » et fais encore le plein d’eau. Je vais donc partir avec les 125 cl des deux bidons, les 125 cl de la bouteille de Vichy et les 50 cl d’une autre petite bouteille. Ces 3 litres ne seront pas de trop pour les 4H45 qu’il me faudra avant la prochaine source, de l’autre côté du « Géant de Provence ». Manger et boire régulièrement sont évidemment vitaux dans ce genre d’expédition ! En attendant, il me faut le « coup de tampon ». Je reviens sur mes pas et tente ma chance dans un premier bar… « le tampon n’est pas là, le café vient d’ouvrir »… Heureusement, le serveur du second établissement (le restaurant « Bleu citron ») est plus compréhensif ! Muni du précieux pointage, je me lance dans la montée.

            Le Ventoux… « Vieux salopard », comme le surnommait affectueusement un ancien septuple vainqueur du Tour de France… Petite transition avant de basculer dans un autre monde : il fait encore bien jour, la pente n’est pas forte au début, et il y a encore quelques touristes, avec notamment encore un grand restaurant sur la route. Bien vite, le jour s’en va, la pente est plus rude, et il n’y a plus personne. Trois ou quatre cyclistes dévalent la montagne, dont un couple que j’ai croisé du côté du col des Aires : ça me rassure, qu’ils aient pu passer le Ventoux, malgré le fort mistral. Il était indiqué à 60 km/h à la météo d’avant-hier, mais il était à 100 km/h lors de la récente arrivée du Tour, justifiant l’annulation de la fin de parcours. Mon compteur indique le plus souvent 7 km/h, mais je m’arrête tous les 3-4 km, au prétexte de vider progressivement l’eau des bouteilles du sac à dos ! Mon corps a vraiment besoin de cette Vichy : il faut croire que les sels minéraux et les oligoéléments des sachets d’Isoxan sont encore insuffisants, compte tenu des pertes dues à la chaleur de deux après-midi ! Après une douzaine de kilomètres, je me dis qu’il faut commencer à se restreindre en eau, et que finalement ça aurait été pire si j’avais entamé la montée à 18H, comme je l’avais noté dans mon plan de marche. Là, la nuit apporte de la fraîcheur. Dans la forêt, le vent ne se fait pas trop sentir. Je regarde les lumières de la plaine du Comtat Venaissin, qui montrent qu’elle est très peuplée. Je ne vois aucune voiture pendant les deux dernières heures de la montée. Il y a deux kilomètres très pénibles, à 10 et 11 %. Je suis à 5 km/h, et ai bien envie de jouer les FROOME, mais comme je ne peux pas me séparer du vélo, je courrais certainement à moins de 5 km/h ! 500m de « replat » au niveau de la station de ski du Mont Serein me font le plus grand bien. Je m’arrête quand même encore 2 ou 3 fois, une petite minute, pour grignoter des gâteaux salés et boire quelques gorgées désormais restreintes ! Parfois j’entends des pierres rouler, bougées par je ne sais quelle bestiole ! Enfin, c’est la rocaille, et les clignotis rouges de la tour météo du sommet se rapproche. A 23H30, je me hisse au panneau ! 3H30 : 6 km/h de moyenne ! En 2012, j’avais mis 2H45, soit près de 8 de moyenne, ne marquant aucun arrêt, pour ne pas être trop largué par Pierre ! En haut, le vent est fort, et j’ai tout de suite froid. Je dois me couvrir avant de prendre les photos : bonnet, jambière, coupe-vent, gore-tex, en plus du maillot et de la chasuble, puis gants d’hiver une fois les photos prises. Avec le vent, le vélo a du mal à tenir debout contre le panneau, couvert d’autocollants ! Je repense au titre du beau bouquin que mes copains du bureau du CTV Sceaux m’avaient offert à mon départ : « le Ventoux, sommet de la folie » ! Trois voitures de jeunes sont arrivées : ils chahutent joyeusement au début de la descente. On s’ignore totalement.

            Je repars avant eux, et roule à gauche, le long de la montagne, plus à l’abri du vent, et avec une meilleure distance de sécurité en cas de bourrasque latérale, venue de la gauche ! Les voitures des jeunes prennent aussi la descente et me doublent par la droite, en vrombissant. Ce sont hélas les candidats habituels à la rubrique des accidents dans les journaux locaux du lundi matin… Il faut dire que je freine beaucoup. Je ne vois évidemment ni le monument mémorial SIMPSON, ni celui de Pierre KRAEMER, dit « le Gaulois ». Je pense à ce cyclo célèbre, de l’UAF, mort de froid ici, le 2 avril 1983, après avoir escaladé le Ventoux enneigé par Malaucène, alors qu’il venait de la concentration Vélocio « Pâques en Provence »… Après le Chalet-Reynard, on est à l’abri du vent, mais la descente est encore plus raide. Heureusement, j’avais resserré les freins cet après-midi. Il convient d’être prudent : le magazine « civique » (juin-juillet 2016-N°233) cite le chiffre de 6 cyclistes tués dans les descentes du Ventoux en 2013. À mi-descente, le signal rouge de la lumière avant commence à clignoter, ce qui est annonciateur de l’épuisement de la batterie. Je ne le savais pas, l’an dernier, lors de la troisième nuit de PBP : la lampe s’est arrêtée brusquement, et non progressivement, comme avec une lampe à pile ! En descente, c’est évidemment le désastre assuré ! En fait, j’ai commis l’erreur de la mettre en position 3, la plus forte, alors que la position 1, plus économique, offre déjà un grand confort ! Donc, je m’arrête, et fixe une « Cateye » de secours, à pile, pour voir quand même en cas d’arrêt brusque de la lumière. Comme en position 1 le clignotant rouge s’est arrêté, je suis ainsi assuré de pouvoir finir la descente sans problème. Enfin, voici le « virage de Saint-Estève », qui marque la fin de cette « nuit sur le Mont Chauve » ! Je m’arrête à la première source, au mince filet d’eau, et remplis bidons et bouteilles, en prévision du bivouac de nuit. J’aurais dû attendre la source suivante, aux Bruns, au débit nettement plus fort ! C’est seulement là que je me dis que désormais je devrais finir dans les délais cette SRHP !

            Peu après, à Sainte-Colombe, avant de tourner à gauche vers Flassan, je vois l’hôtel « le Garance » : j’avais téléphoné il y a quatre jours : il y avait possibilité d’arriver à 22-23H et de repartir à 3H. Mais il est 1H ! Aussi, je commence à chercher un gîte au prix plus compétitif, et le trouve avant Flassan : une belle pelouse sous des oliviers ! Je me force d’abord à manger deux sandwichs aux rillettes de thon, mais ne peux finir le second. Puis je déploie la couverture de survie, mets le réveil du téléphone à 3H et essaye de dormir. Mais, même en ayant gardé toute la tenue hivernale, gants compris (ce qui protège des insectes), j’aurai un peu froid. En plus, je suis réveillé par deux ou trois voitures qui passent sur cette petite départementale. Une d’elles s’arrête, le conducteur voulant sans doute voir si je ne suis pas accidenté : il faut toujours essayer de s’éloigner de la route pour dormir. Je contemple le ciel étoilé, avec la Grande Ourse sur le Ventoux, où clignote toujours la lumière rouge de la tour météo au sommet.

            À 3H20, après avoir fini le lait concentré et mangé quelques biscuits, je repars. Plus que 172 km ! Très vite, ça grimpe, dans le gros village de Flassan, patrie de CARITOUX, le double champion de France, vainqueur de la Vuelta 1984, qui y est aujourd’hui vigneron. Je m’arrête pour ranger définitivement la tenue d’hiver, car j’ai cette fois trop chaud au pied du dernier col du parcours ! Les pourcentages ne sont plus ceux du Ventoux : 570m de D+ en 12 km. Pourtant, je grimpe à une vitesse d’escargot, sur le plus petit plateau, même si je n’ai pas « tout à gauche » comme dans le Ventoux. En plus, je ne lis plus les panneaux annonçant les caractéristiques du prochain kilomètre : j’ai coupé le phare, en prévision de la descente, et les piles de la Cateye devaient être usées, car elle expire progressivement ! Il me reste une petite loupiotte, suffisante à cette vitesse, avec aussi l’aide de la demi-lune ! Je ne vois une première voiture qu’au bout d’au moins une heure, en rejoignant la route plus fréquentée qui mène au col des Abeilles, à 1000 m d’altitude (ce seuil ne sera plus repassé jusqu’à l’arrivée). Il est 5H05 à ce onzième contrôle. Le jour arrive vite, le ciel étant totalement dégagé grâce au vent. La descente est très roulante et rapide. Avec le seul coupe vent, c’est un peu juste. Je regrette de ne pas avoir de journal : j’ai voulu en acheter hier, mais m’y suis pris trop tardivement : plus de presse à 19H30 ! Enfin, j’avance sur du plat, au pied du bourg de Sault : je regarde la moyenne roulée, remise à zéro à Flassan (car passés les 400 km, il n’y a plus d’indications) : 12,2 km/h !

            Elle ne progresse évidemment pas dans la montée vers Sault ! Pas de bar ouvert à cette heure, et la boulangerie n’a encore rien d’alléchant, genre flan ! Je prends un sac de viennoiseries d’hier, « soldées » ! Je me traîne ensuite sur le plateau d’Albion, où globalement ça grimpe : Sault est à 711m d’altitude, et le village suivant, Revest-du-Bion, à 16 km, est à 904m. J’ai le temps d’admirer le paysage féérique, avec le Ventoux qui commence à s’éloigner à l’ouest, et Lure qui se rapproche. Le bleu du ciel est immaculé. La lavande est omniprésente et embaume… GIONO en parle au début de son premier roman : « … le grand désert lavandier, le pays du vent, à l’ombre froide des monts de Lure » (Colline, 1929) (même si on est au nord de ces monts!) Avant d’arriver à Revest, j’ai terriblement sommeil, comme souvent aux premiers forts rayons de soleil. Je m’endors un bon quart d’heure en lisière d’un champ de blé, face à ces monts de Lure. Je repars mieux reposé, et en plus trouve un bistrot ouvert dans le village. J’avale quelques viennoiseries du stock constitué à Sault, avec un café double. Sur la route de Banon, deux carrefours comportent des panneaux indiquant le Contadour, hameau isolé au pied de Lure, QG de GIONO avant guerre. Il y refaisait le Monde avec ses disciples du pacifisme intégral… On est au cœur de sa Provence. Banon, c’est le douzième contrôle. Comme il y a 4 ans, je vais à la « boucherie des Alpes » pour un pointage. J’achète une grosse tranche de pâté en croûte que je savoure sur un banc, admirant le haut du village. Le sympathique boucher m’a rassuré : la célèbre librairie « le Bleuet », un temps en difficulté (à cause de l’échec de son extension dans le domaine des « ventes en ligne »), a été reprise et existe toujours, constituant le « poumon économique » de ce village d’un millier d’habitants.

            Commence en repartant une phase de « regain », en ce qui concerne ma moyenne, qui va remonter régulièrement au cours des 44 kilomètres suivants (jusqu’au pied du plateau de Valensole), du fait de plusieurs facteurs : une dénivelée globalement descendante (de 430 mètres), un vent favorable, une température encore fraîche sans être froide, un créneau horaire propice au bon rendement et un moral renforcé par la perspective de réussite. J’« envoie du lourd » dans les vallées qui suivent la descente de Banon, grimpe à un bon rythme sur Forcalquier (où je ne m’arrête pas, comme il y a 4 ans, pour le BPF), redescends sur une belle route sur la Durance (à La Brillanne, plein d’eau à une fontaine ombragée, malgré l’indication « non potable »… mais une riveraine me dit qu’elle la boit depuis des décennies!), pour trouver une circulation intense du côté d’Oraison, où je fais quelques emplettes pour le frugal déjeuner. La moyenne roulée est remontée à 17,4 au franchissement de l’Asse (à proximité de son confluent avec la Durance). Ce sera sensiblement la même moyenne qu’à l’arrivée à Carcès tout à l’heure.

            En effet, passé la rivière, les choses se corsent à nouveau: il s’agit de traverser dans un axe SSE le plateau de Valensole, qui n’a de plateau que de nom : délimité au nord par l’Asse, à l’ouest par la Durance, au sud par le Verdon et à l’est par les premières montagnes de Moustiers-Sainte-Marie et de St-Jurs, il est incliné d’est (7 à 800 m d’alt.) en ouest (400 m environ) et traversé suivant le même axe par de nombreuses petites rivières. Donc, entre l’Asse (alt.336 m) et le Verdon (alt.360 m), la D15 suivie par la SRHP emprunte une dizaine de bosses sur une quarantaine de kilomètres, et ce à basse altitude et en pleine chaleur, ce midi! La première côte, qui monte sur le « plateau », est la plus longue : 5 km sur un revêtement rugueux, dans une forêt, mais avec peu d’ombre ! Les vues sont magnifiques sur les rares portions de plat, sur les points hauts, dans les champs de lavande, moins odorants que ce matin avant Banon : montagnes au-dessus du Verdon, pré alpes de Digne, sommets dénudés de Lure et, au loin, du Ventoux. Sur cette portion, je fais du 16 km/h de moyenne roulée, et deux arrêts : un pique-nique rapide, et le café-double/viennoiseries à Allemagne-en-Provence, contrôle N°13 (14 en comptant le départ), à 12H45, à l’unique bistrot, à côté d’une fontaine, de ce village si agréable, avec un beau château, oasis de fraîcheur dans une petite vallée verdoyante. J’ai du mal à la quitter pour terminer ce pénible épisode de « montagnes russes ».

            Il s’achève au pont sur le Verdon. Il y a du monde, et beaucoup de kayaks sur ses eaux vertes ! Il reste 32 km. La route remonte progressivement à 470 m d’altitude vers Monmeyan, pour redescendre par paliers jusqu’aux 135 m de Carcès. Les quelques modestes remontées me semblent particulièrement difficiles. Dans la descente de Cotignac, je ressens la canicule et la prise de 2 ou 3 degrés supplémentaires. Mais, poussé par le vent, aidé par le faux-plat descendant, cette fois c’est gagné ! J’entre dans Carcès et mets sur la carte l’heure d’arrivée au bar « Pitchoune » : 15H47. J’ai donc mis 49H47, trois heures de plus qu’en 2012 (et 12H de plus que Sophie). Le patron me félicite. Je prends une bonne bière fraîche, et on cause un peu, avec un couple présent au bar : ils connaissent aussi Sophie… « on la voit tout le temps sur son vélo » ! Je retrouve la voiture surchauffée et rentre sur Toulon.

            Heureusement que le vent était favorable le dernier jour et que j’avais mon vélo avec le cadre en carbone : je constate que je n’ai plus guère de marge par rapport au délai maximum : une heure ! J’ai sept fois plus de « marge de déclin » sur un PBP (fini 15H avant le délai en 2015, pour un kilométrage double). Cette SRHP et ses nombreux moments de galère a renforcé la conscience de mes limites, au vu de l’érosion des performances, tant par rapport aux données récentes et précises d’il y a 4 ans, que par rapport aux souvenirs lointains d’il y a 30 ou 40 ans, sur certains de ces cols… Néanmoins, le déclin peut être enrayé à court terme en perdant 3 ou 4 kg et en emportant moins de matériel (pneu, outillage, cartes routières…), en prenant ainsi le risque de « rester en rade » ! La grosse sacoche arrière, que je n’avais pas en 2012, était de trop.

            En conclusion, je cite à nouveau le texte de la présentation des super randonnées par Sophie : « les participants, autant Touristes que Randonneurs, ont été enthousiasmés, à la fois par la beauté des paysages, mais aussi par la grandeur du défi, quelle que soit la catégorie choisie. Tous soulignent l’intense sentiment de bonheur éprouvé lors de leur réussite ».  C’est aussi mon cas, car je n’étais pas sûr du succès, au moins jusqu’au passage du Ventoux. Aussi il est peu probable que je retente une SR en « randonneur » ! Trop difficile à mon âge ! Mais la SRHP ou d’autres SR en formule « touristique » font partie de mes projets ! En effet, ce sont les routes les plus belles qui sont sélectionnées dans une super-randonnée !   

            Merci à Sophie, et merci à l’ACP pour ces belles inventions et pour tout le travail d’organisation qui en découle, d’autant que des « super-randonnées » sont aujourd’hui créées dans certains pays étrangers!

Bertrand AFFRES,  Cyclotourisme de la Ville de Sceaux